Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome I.djvu/206

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Car elle arrive là pour cesser ; dès qu’elle commence, elle vise à n’être plus 8.

VIII. Enfin, tout comme les bons, les méchants ont leur volupté. L’homme flétri ne jouit pas moins de sa honte que l’honnête homme de sa belle conduite. C’est pourquoi les anciens nous prescrivent d’adopter la meilleure, non la plus agréable vie, afin que la volonté, droite et bonne, ait le plaisir non pour guide, mais pour compagnon. La nature en effet est le guide qu’il faut suivre ; c’est elle qu’observe, elle que consulte la raison. C’est donc une même chose que vivre heureux et vivre selon la nature. Or voici en quoi cela consiste : à jouir de nos facultés physiques et de ce qui est fait pour elles, en usufruitier vigilant mais sans peur, comme de choses prêtées pour un jour et fugitives, à ne pas subir leur servitude, ni nous laisser posséder par ce qui ne vient point de nous, à mettre les aises du corps et les avantages fortuits au rang que tiennent dans les camps les auxiliaires et les troupes légèrement armées. Que tout cela serve et ne commande point ; à ce titre seulement l’âme en tirera profit. Que l’homme de cœur soit incorruptible aux choses du dehors, invincible, admirateur seulement de son être, ayant foi dans son âme, préparé à l’une et à l’autre fortune, artisan de sa vie. Que l’assurance chez lui n’aille pas sans la science, ni la science sans la fermeté ; que ses résolutions tiennent une fois prises, et que dans ses décrets il ne se glisse pas de rature. On conçoit, sans que je l’ajoute, quelle paix, quelle concordance régnera dans un tel esprit, et que tous ses actes seront empreints d’une dignité bienveillante. Chez lui la véritable raison sera greffée sur les sens et y prendra ses éléments ; car il n’a pas d’autre point d’appui pour faire effort ou prendre son élan vers le vrai, puis se replier sur lui-même. Le monde céleste aussi, qui embrasse tout, et ce Dieu qui régit l’univers, malgré leur tendance vers le dehors, rentrent néanmoins de toutes parts dans le grand tout et en eux-mêmes. Qu’ainsi fasse l’esprit humain : lorsqu’en suivant les sens dont il dispose, il se sera porté par eux à l’extérieur, qu’il soit maître d’eux et de lui-même et enchaîne près de lui en quelque sorte le souverain bien. De là sortiront cette unité de force, cette puissance homogène et cette raison sûre qui ne se partage et n’hésite pas plus sur ce qu’elle juge ou peut saisir, que sur ses convictions. Quand elle a mis cet ordre, ce plein accord entre toutes ses parties, quand elle s’est, pour ainsi dire, harmoniée, le souverain bien est conquis. Il ne reste plus de