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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome I.djvu/21

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XVI
NOTICE SUR LA VIE


sort ? Tous ne connaissaient-ils pas la cruauté de Néron ? et que restait-il à l’assassin de sa mère et de son frère, que d’être aussi le bourreau du maître qui éleva son enfance ?

Après ces exhortations, qui s’adressaient à tous également, il embrasse sa femme, et, s’attendrissant un peu à cette lugubre scène, il la prie, il la conjure de modérer sa douleur, de ne pas la garder sans fin, mais de chercher, dans la contemplation d’une vie consacrée à bien faire, de nobles consolations à la perte d’un époux. Mais Pauline proteste qu’elle aussi est décidée à mourir et demande avec instance l’exécuteur pour la frapper. Sénèque alors ne voulut pas lui ravir cette gloire ; sa tendresse d’ailleurs craignait d’abandonner aux outrages une femme qu’il chérissait uniquement. « Je t’avais montré, dit-il, ce qui pouvait te gagner à la vie : tu préfères l’honneur de mourir : je ne t’envierai pas le mérite d’un tel exemple. Que la part de courage dans cette grande épreuve soit égale entre nous : la gloire de ta fin sera plus grande. » Aussitôt, avec le même fer, ils s’ouvrent les veines des bras. Sénèque, dont le corps affaibli par l’âge et par l’abstinence laissait trop lentement échapper le sang, se fait couper aussi les veines des jambes et des jarrets. Bientôt dompté par d’affreuses douleurs, il craignit que la vue de ses souffrances n’abattît le courage de sa femme et que lui-même, aux tourments qu’elle endurait, ne pût se défendre de quelque faiblesse ; il l’engagea à passer dans une autre chambre. Puis, retrouvant jusqu’en ses derniers moments toute son éloquence, il appela des secrétaires et leur dicta un assez long discours. Comme on a publié le texte même de ses paroles, pour ne les point changer, je m’abstiendrai d’en reproduire le sens.

Néron, qui n’avait contre Pauline aucune haine personnelle, et qui craignait de soulever les esprits par trop de cruauté, ordonna qu’on l’empêchât de mourir. Pressés par les soldats, les esclaves et les affranchis de Pauline lui bandent les bras et arrêtent le sang. On ignore si ce fut à son insu : car (telle est la malignité du vulgaire) il ne manqua