Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome I.djvu/218

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s’il le peut, il vieillira dans sa patrie. Il prononce qu’une existence plus ou moins longue est indifférente ; toutefois, tant que rien ne l’en empêche, il prolonge la sienne, et dans une vieillesse avancée il conserve en paix sa verdeur. »

Oui, il dit qu’on doit mépriser ces choses, non pour ne les avoir point, mais pour les avoir sans inquiétude. Il ne les repousse pas, mais si elles s’éloignent, il fait tranquillement retraite avec elles. Où la fortune déposera-t-elle ses richesses plus sûrement que chez l’homme qui les lui rendra sans murmure ? Quand M. Caton louait Curius, Coruncanius et ce siècle où l’on était coupable aux yeux du censeur pour posséder quelques lames d’argent, lui, Caton[1], avait quarante millions de sesterces[2] : moins sans doute que Crassus, mais plus que Caton le censeur. C’était, si l’on compare, dépasser son bisaïeul de bien plus que lui-même ne fut dépassé par Crassus ; et si de plus grands biens lui étaient échus, il ne les eût pas dédaignés. Car le sage ne se croit indigne d’aucun des dons du hasard ; non qu’il aime les richesses, mais il les préfère : ce n’est pas dans son âme, c’est dans sa maison qu’il les loge ; il n’en répudie pas la possession, mais il les domine : il n’est point fâché qu’une plus ample matière soit fournie à sa vertu.

XXII. Eh ! qui doute que pour le sage il n’y ait plus ample matière à déployer son âme dans la richesse que dans la pauvreté ? Toute la vertu de celle-ci est de ne point plier ni s’abattre ; dans l’autre, la tempérance, la libéralité, l’esprit d’ordre, l’économie, la magnificence ont un champ vaste et libre. Le sage ne se méprisera point, quand il serait de taille exiguë ; toutefois il en voudrait une grande : avec un corps grêle, et privé d’un œil, il peut se bien porter : il aimera mieux pourtant avoir aussi la vigueur physique. Il désirera ces avantages sans oublier qu’il a en lui quelque chose de plus fort que tout cela : il saura souffrir la mauvaise santé tout en souhaitant la bonne. Car il est des choses qui, bien que n’ajoutant guère à la somme du bonheur, et pouvant disparaître sans en amener la chute, contribuent néanmoins quelque peu à cette satisfaction que la vertu perpétue, comme elle l’a fait naître. Les richesses sont au sage ce qu’est au navigateur un bon vent qui l’égaye et facilite sa course, ce qu’est un beau jour, et, par

  1. Caton d’Utique
  2. Environ 8 151 664 fr.