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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome I.djvu/22

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XVII
ET LES ÉCRITS DE SÉNÈQUE.


pas de gens qui pensèrent que, tant qu’elle crut Néron implacable, elle ambitionna l’honneur de mourir avec son époux, puis que, flattée d’une plus douce espérance, elle avait cédé à l’attrait de vivre. Elle survécut quelques années seulement, noblement fidèle à la mémoire de son mari[1] ; et la pâleur de ses traits et la blancheur de ses membres faisaient assez voir combien de force vitale elle avait perdu.

« Comme la mort était lente à venir, Sénèque se fit apporter du poison… de la ciguë, qui ne put agir sur des membres déjà froids et des vaisseaux rétrécis. Enfin il entra dans un bain chaud, et jetant quelques gouttes d’eau sur les esclaves qui l’entouraient : « J’offre, dit-il, cette libation à Jupiter libérateur[2]. » De là il fut porté dans une étuve dont la vapeur l’étouffa[3]. »

Ainsi mourut Sénèque, âgé de soixante-trois à soixante-quatre ans. Les grands traits de sa vie politique furent honnêtes, vertueux, profitables à tout l’empire. L’énorme tâche d’élever un Néron, de l’apprivoiser, de lui disputer ses victimes, souvent de les lui arracher, fut suivie à peine d’un

  1. Cet éloge concorde admirablement avec ce que Sénèque, malade peu de temps auparavant, et songeant, comme on va le voir, à prévenir la mort, écrivait à Lucilius son ami : « Ma Pauline est cause que ma santé a plus de prix pour moi. Oui, comme je sais que sa vie tient à la mienne, je commence, par égard pour elle, à m’écouter un peu : et aguerri par la vieillesse sur bien des points, je perds sur celui-ci le bénéfice de mon âge. Je me représente que dans ce vieillard respire une jeune femme qu’il faut ménager ; et comme je ne puis gagner sur elle d’être aimé avec plus de courage, elle obtient de moi que je m’aime avec plus de soin. Il faut condescendre à nos légitimes affections, et quelquefois, quand tout nous presserait de mourir, à la pensée des siens il faut, même au prix de la souffrance, rappeler à soi la vie et retenir le souffle qui s’exhale. » Lettre CIV. C’est cette Pauline dont Dion Cassius dit qu’elle fut contrainte par Sénèque à partager son supplice.
  2. Thraséas, peu après, fit avec son sang la même libation. Socrate mourant avait dit : « Nous devons un coq à Esculape. » Nobles et ingénieux symboles par lesquels ces trois martyrs rendaient grâce au Dieu qui les délivrait des maux de cette vie.
  3. Tacite, Annal., XV, lxi et suiv. Nous avons généralement suivi la traduction de Burnouf.