Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome I.djvu/228

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DU REPOS,
OU
DE LA RETRAITE DU SAGE.

XXVIII… Les cirques, en y applaudissant par tant de mains, nous préconisent les vices. Quand nous ne tenterions nul autre moyen de salut[1], la retraite, par elle-même, profiterait encore : on en vaut mieux quand on est seul1. Et puis, cette retraite, ne peut-on la trouver auprès des hommes les plus vertueux, et choisir un modèle sur lequel on règle sa vie, ce qui sans loisir ne saurait se faire ? On ne persévérera dans le plan une fois approuvé, que si nul n’intervient, s’appuyant du préjugé public, pour faire dévier nos idées encore chancelantes : alors la vie pourra marcher d’un cours égal et uniforme, cette vie que nous morcelons entre les plus contradictoires projets. Car de toutes nos misères la pire est que nous sommes changeants jusque dans nos vices ; ainsi on n’a même pas l’avantage de s’en tenir à un mal qui nous soit familier. Un premier nous quitte, un second nous séduit ; et pour surcroît de torture, nos jugements sont à la fois dépravés et instables. On flotte au hasard, on saisit un objet puis un autre ; ce qu’on a poursuivi on le laisse, ce qu’on a laissé on le poursuit de nouveau : retours alternatifs de convoitises et de repentirs. C’est que nous dépendons tout entiers de l’opinion, et que le meilleur parti nous semble celui qui a le plus de sectateurs et d’apologistes plutôt que celui qui les mérite. Nous jugeons la route bonne ou mauvaise non par ce qu’elle est, mais par le grand nombre des vestiges, dont pas un ne marque le retour.

  1. Nihil aliud quod sit, selon les manuscrits, et non comme Lemaire : quam quod sit.