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XVIII
NOTICE SUR LA VIE


commencement de succès ; pourtant ne faut-il pas lui savoir gré, comme l’histoire, de cette trêve, si courte qu’elle fût, quatre à cinq ans à peine, qu’il obtint pour l’humanité ? Et de quelle foule d’atrocités sa mort fut le signal ! Sans doute quelques faiblesses ont déparé cette vie : des flatteries à Claude et au ministre de Claude pour être rappelé de l’exil, une virulente satire contre ce même Claude, quelques complaisances, qui n’étaient pas toutes forcées, pour Néron, un peu trop d’attachement peut-être à ces richesses dont il fit d’ailleurs un noble usage ; mais ses services rendus, ses résistances au despote qu’il dut payer enfin de sa mort, et la beauté même de cette mort rachètent et surpassent de beaucoup, aux yeux de tout juge impartial, des torts comparativement bien légers.

Il nous reste à apprécier Sénèque comme philosophe et comme écrivain.

Le plus considérable et en général le plus vrai des jugements portés sur lui est à coup sûr celui de Quintilien. L’œuvre de ce rhéteur parut sous Domitien, odieux tyran qu’il divinisa, qu’il loua même comme grand poëte, « ce qui devait coûter davantage à sa conscience de critique, » selon la juste et fine remarque de M. Villemain. « Il le félicite aussi d’avoir banni les philosophes ; il s’indigne que ces hommes se soient crus plus sages que les empereurs, et les accuse dans les mêmes termes dont les délateurs s’étaient servis contre Thraséas[1]. » Quintilien, auteur de froides et emphatiques déclamations, gauche imitateur, dans ces études, de la manière brillante de Sénèque, n’en restait pas moins admirateur des Grecs et de Cicéron. C’était le chef officiel et pensionné de la réaction classique contre la nouvelle école dont Sénèque avait été le plus illustre représentant. Il porta si loin l’acrimonie trop commune aux querelles littéraires qu’on l’accusa, il le dit lui-même, d’être l’ennemi personnel de Sénèque. Chargés tous deux

  1. De la corruption des lettres romaines, par M. Villemain, 1846.