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DE LA PROVIDENCE.


Que Téthys qui, le soir, me reçoit dans ses eaux,
Tremble d’y voir rouler mon char et mes chevaux[1].

À ces paroles, le généreux Phaéthon répondit : « Cette carrière me plaît ; je monte : l’entreprise vaut bien que je m’expose à la chute. » Le père essaye toujours d’intimider le jeune téméraire :

Je veux qu’en ton chemin nulle erreur ne t’égare ;
Oseras-tu braver plus d’un monstre barbare ?
Les cornes du Taureau, la gueule du Lion,
Et l’arc du Sagittaire ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . 


Il réplique de nouveau : « Le char est à moi ; qu’on l’attelle. Vous croyez m’intimider : au contraire. Je veux me tenir ferme où Phébus lui-même tressaille de crainte. C’est aux âmes basses et peureuses à suivre les routes les plus sûres : le courage tente les accès difficiles. »

VI. « Pourquoi cependant Dieu souffre-t-il qu’il arrive mal aux gens de bien ? » Non, il ne le souffre pas ; il a écarté d’eux tous les maux, en écartant tout ce qui est crime et turpitude, coupables pensées, projets ambitieux, aveugle débauche, et cupidité qui plane sur le bien d’autrui : eux, il les protége et les défend. Voudrait-on encore le constituer gardien de leur bagage ? Eux-mêmes le tiennent quitte de ce soin : ils méprisent les choses extérieures.

Démocrite se dépouilla de ses richesses, les regardant comme un fardeau pour le sage ; est-ce merveille si Dieu laisse les gens de bien livrés à un sort que parfois ils recherchent spontanément ? « Ils perdent leurs enfants ! » Eh bien, quoi ? eux-mêmes quelquefois ne les condamnent-ils pas à la mort ? « On les envoie en exil ! » Mais souvent ils quittent volontairement leur patrie pour ne plus la revoir. « On leur ôte la vie ! » Eh ! ne se l’arrachent-ils pas, au besoin, de leurs propres mains ? « Pourquoi souffrent-ils les rigueurs du sort ? » Pour apprendre aux autres à souffrir : ils sont nés pour servir d’exemple. Figure-toi que Dieu leur dit : « Qu’avez-vous à vous plaindre de moi, vous qui vous êtes donnés à la vertu ? J’ai environné les autres de faux biens ; esprits vides, je les ai amusés de l’illusion d’un long songe18 : je les ai parés d’or, d’argent et d’ivoire ; au dedans d’eux tout est misère. Ces hommes, qui vous paraissent les heureux de la terre, voyez-les, non du côté

  1. Ovid., Métam., Liv. ii, 63. trad. de Saint-Ange.