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DE LA TRANQUILLITÉ DE L’ÂME.


aux faisceaux, non que la pourpre ou des verges dorées me séduisent, mais pour mes amis et mes proches, pour mes concitoyens, enfin pour tous les hommes que je dois mieux servir en vivant plus près d’eux. Je me rapproche ainsi docilement de Zénon, de Cléanthe, de Chrysippe, dont aucun pourtant ne prit part au gouvernement, mais qui tous me conseillent d’y entrer. Puis au premier choc qu’essuie mon âme novice à de telles secousses, si je me heurte à l’une de ces indignités trop fréquentes dans la vie humaine, ou à quelque obstacle qui empêche mon action, s’il me faut donner un temps considérable à des futilités, je reprends goût à mon loisir, et pareil au coursier qui, malgré la fatigue, double le pas à l’approche du logis, je brûle de resserrer mon existence dans ses lares protecteurs. Pas un jour ne me sera enlevé par personne ; que me donnerait-on qui m’indemnisât d’une telle perte2 ? Mon âme ne se dévouera qu’à elle-même, ne courtisera qu’elle seule, ne fera rien qui ne soit pour elle, rien en vue de l’opinion : chérissons une vie tranquille, étrangère aux soucis politiques et privés.

Mais qu’une lecture mâle m’élève le cœur et que d’illustres exemples viennent à m’aiguillonner, me voilà prêt à voler au forum, à prêter ma voix à tel accusé, à tel autre mon appui, peut-être inefficace, mais dévoué, et à humilier devant tous le superbe, gonflé de ses iniques succès….

Pour composer, je crois qu’en vérité le mieux est d’envisager le sujet en lui-même et d’y conformer son discours ; que du reste les mots se subordonnent aux choses, et que n’importe où celles-ci nous mènent3, l’expression suive sans trop se tourmenter. Qu’est-il besoin de composer pour la durée des siècles ? Tu veux faire en sorte que la postérité ne taise pas ton nom ? N’es-tu pas né pour mourir ? N’est-il pas plus commode d’entrer dans la tombe en silence ? Ainsi, pour occuper ton temps, pour ton utilité propre, non pour te faire préconiser, rédige quelques pages d’un style simple : il en coûte moins d’efforts à n’étudier que pour sa provision d’un jour.

En revanche, si quelques grandes pensées exaltent mon âme, elle se répand en termes pompeux, elle cherche des inspirations plus hautes et des expressions qui y répondent, et mon discours s’élève à la dignité du sujet ; oubliant alors les lois d’un goût trop circonscrit, je plane au-dessus de la terre et parle un langage qui n’est plus le mien.

Enfin, et pour couper court aux détails, je porte en toutes choses cette même faiblesse de bonne intention : j’ai peur d’y céder à