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APOKOLOKYNTOSE.


céleste l’empoigne, et lui enveloppant la tête pour qu’il ne soit pas reconnu, l’entraîne par le champ de Mars, puis, entre le Tibre et la voie couverte[1], il plonge avec lui aux enfers.

Déjà l’y avait précédé, par un chemin plus court, l’affranchi Narcisse[2], pour recevoir son patron. Luisant de parfums, car il sortait du bain, il accourt au-devant de Claude et s’écrie : « Comment ! Un dieu chez les hommes ! — Allons ! dépêche, dit Mercure, et va nous annoncer. » L’autre aurait voulu flagorner plus longtemps son maître ; Mercure lui réitère l’ordre de se hâter, et un coup de caducée stimule sa lenteur. Plus prompt que la parole on eût vu s’envoler Narcisse. Là tous les abords sont en pente, la descente est facile[3] ; aussi malgré sa goutte arriva-t-il en un moment à la porte de Pluton. Sur le seuil était couché Cerbère, ou, comme dit Horace, le monstre aux cent têtes s’agitant et secouant sa crinière hérissée. Narcisse, accoutumé à la blanche levrette qui faisait ses délices, se troubla bien un peu lorsqu’il vit ce chien noir à long poil, dont certes vous ne voudriez pas faire la rencontre dans les ténèbres. Il ne laissa pas de crier bien haut : « Voici le César Claude. » Aussitôt s’avancent, battant des mains, des ombres qui chantaient :

Nous le tenons, pour nous tous quelle joie[4] !

C’étaient C. Silius[5], consul désigné ; Junius, chef des gardes prétoriennes ; Sextus Trallus ; M. Helvius, Trogus, Cotta, Vectius Valens, Fabius, chevaliers romains que Narcisse avait fait conduire à la. mort. Au milieu de cette foule chantante était Mnester le pantomime, que par motif de convenance[6] Claude avait fait raccourcir. Messaline aussi reçut promptement la nouvelle de l’arrivée de Claude. Les premiers accourus de tous les affranchis furent Polybe, Myron, Harpocras, Amphasus, Phéronacte : Claude les avait tous dépêchés pour

  1. Voie sacrée près de laquelle les cloaques se dégorgeaient dans le Tibre.
  2. Anachronisme volontaire. Narcisse survécut à Claude.
  3. Facilis descensus Averni. Virg. Enéid. VI.
  4. Formule d’allégresse que chantaient !es prêtres d’Egypte quand ils avaient trouvé le nouveau bœuf Apis.
  5. Il avait épousé publiquement Messaline en l’absence de ion mari Claude.
  6. « Les affranchis de Claude lui persuadèrent qu’après avoir immolé de si grandes victimes, on ne devait pas épargner un histrion. » Tacit. Ann., XI, 36. On peut entendre aussi : pour lui donner plus de grâce.