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DE LA CLÉMENCE, LIVRE I.

vote, et après avoir prouvé que sa sévérité était désintéressée, ce qu’un prince doit toujours avoir à cœur, il opina ainsi : « Que le fils soit exilé où le père voudra. » Il ne vota ni pour le supplice du sac et des serpents[1], ni pour la prison ; il songea non sur qui il prononçait, mais dans quel conseil il siégeait. Un père, dit-il, devait se contenter de la peine la plus douce, infligée à un fils adolescent encore, qu’on avait poussé à un crime pour lequel il avait fait voir une timidité voisine de l’innocence : il suffisait de l’éloigner de Rome et des regards paternels.

XVI. Ô prince bien digne d’être appelé au conseil des pères, et digne d’être nommé cohéritier même de fils innocents ! Voilà la clémence qui sied au souverain, celle qui, quelque part qu’elle se montre, y fait prévaloir la douceur en toutes choses. Nul ne doit être assez abject pour que sa mort ne soit pas sentie par le prince : quel qu’il soit, il est membre de l’État. Cherchons pour exemple au pouvoir suprême des autorités moindres, et il en est de plus d’un genre : le prince commande à ses sujets, le père à ses enfants, le précepteur à ses disciples, le tribun ou le centurion à ses soldats. Ne jugerait-on point détestable père celui qui sans cesse, pour les plus légères causes, accablerait de coups ses enfants ? Quel maître d’arts libéraux est le plus digne de sa profession, ou de celui qui frappe en bourreau ses élèves si leur mémoire est en défaut, si leur coup d’œil n’est pas assez prompt pour lire sans hésiter, ou de celui qui aime mieux les corriger par de simples avis et les reprendre en les piquant d’honneur ? Un tribun, un centurion implacable fera des déserteurs, et pour ceux-ci il y a pardon. Car enfin est-il juste de commander avec plus de rigueur et de dureté à l’homme qu’au stupide animal ? Et encore, l’écuyer habile n’effarouche pas par des coups redoublés le cheval qu’il veut dompter ; il le rendrait ombrageux et rétif, s’il ne lui faisait sentir pour l’apaiser une main caressante. Ainsi le chasseur qui dresse de jeunes chiens à suivre la piste, ou qui les emploie, déjà exercés, à lancer ou à poursuivre le gibier, ne les menace pas trop souvent, ce serait les décourager et éteindre leur noble instinct dans le sentiment dégénéré de la peur ; mais il ne les laisse pas non plus errer et vaguer à leur fantaisie. Ainsi encore les conducteurs de bêtes de somme, de ces races indo-

  1. On cousait les parricides dans un sac de cuir avec un serpent, un singe, un coq et un chien, et on les jetait dans la rivière.