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XXXI
ET LES ÉCRITS DE SÉNÈQUE.


aux idées, aussi près de l’Évangile que l’est Sénèque ; et par sa métaphysique, celui-ci est moins chrétien que Platon. Eût-il eu la foi nouvelle, n’y eût-il fait que des emprunts, il ne se fût pas borné à des traits de doctrine isolés, il eût adopté franchement l’immortalité de l’âme, par exemple ; il n’eût pas comparé, préféré même le sage à Dieu, ni balancé entre le hasard ou la fatalité stoïcienne et Dieu, ni penché vers la métempsycose, ni prêché le panthéisme et le suicide, ni basé toute sa morale sur l’orgueil du sage quand celle de l’Évangile est fondée sur l’humilité. La morale ne date pas du christianisme : il n’en a changé que les bases. Or la morale, celle des grands esprits et des nobles âmes qui ont éclairé le monde jusqu’à Platon, Cicéron et tant d’autres, Sénèque, grand esprit lui-même et l’un de leurs pairs, l’a comme résumée dans ses livres, il l’a agrandie, fécondée, propagée avec un merveilleux éclat. Sauf l’esprit tout nouveau d’humilité et cette sublime vertu de charité, plus ardente, plus expansive que ne l’avait prêchée le stoïcisme, la foi chrétienne n’a pu qu’ajouter l’autorité du dogme aux vérités proclamées par ces sages : ainsi elle a agi sur la généralité des hommes, les philosophes anciens n’ayant jamais pu compter que quelques milliers d’adeptes et des disciples non moins divisés entre eux que leurs maîtres. Concluons que si Sénèque aboutissait par la philosophie au pressentiment du christianisme, les différences restent trop tranchées, trop nombreuses dans ses livres, pour qu’on puisse faire honneur de ses prétendus emprunts à toute autre source qu’au fonds commun de la raison humaine et à l’inspiration personnelle de l’écrivain.

Aux notes critiques et historiques placées à la fin de chaque volume, nous avons entremêlé les passages des livres évangéliques, bibliques même, qui ont quelque analogie avec certaines pensées de Sénèque. Nous avons aussi indiqué ou cité les rapprochements fortuits, les imitations volontaires les plus remarquables que les anciennes littératures et la nôtre pouvaient nous offrir comme points de com-