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DE LA COLÈRE, LIVRE II.

soif ou la faim aiguillonne, ou dont le sang est appauvri, ou dont les organes insuffisamment restaurés s’affaissent. Le vin enflamme la colère, car il augmente la chaleur relative de chaque tempérament,

XX. Des hommes s’emportent dans l’ivresse, d’autres s’emportent même à jeun[1]. Il n’y a pas d’autre cause de l’extrême irascibilité des blonds, comme de ceux dont le visage est coloré, et qui ont naturellement le teint que la colère donne aux autres : trop de mobilité agite leur sang. Mais si la nature produit des tempéraments irritables, il est mille causes qui accidentellement peuvent faire ce que fait la nature. C’est tantôt la maladie, une altération d’organes, tantôt le travail, des veilles continues, des nuits inquiètes, le chagrin, l’amour ; tous les poisons du corps et de l’âme tendent à faire de celui qui souffre un esprit quinteux. Mais tout cela n’est que germes et prédispositions ; la cause toute-puissante, c’est l’habitude qui, si elle est profonde, alimente le vice. Changer le naturel est difficile ; il est même impossible de refondre les éléments une fois combinés à la naissance. Mais il est bon de les connaître pour qu’aux tempéraments inflammables on interdise le vin ; « le vin qu’il faut refuser aux enfants, » dit Platon, lequel ne veut pas qu’on attise le feu par le feu(20). Ne les surchargeons pas non plus d’aliments ; ce serait donner au corps trop de développement, et, en même temps que le corps, épaissir l’esprit. Qu’ils s’exercent par le travail, sans aller jusqu’à la fatigue, de manière à diminuer, non à consumer leur ardeur, et que ce bouillonnement excessif jette seulement son écume. Les jeux ont aussi leur avantage ; et des récréations modérées détendent et rafraîchissent l’esprit. Les tempéraments lymphatiques ou trop secs et froids n’ont pas à craindre la colère, mais des défauts pires, la pusillanimité, l’hésitation, le découragement, l’esprit de soupçon.

XXI. Aussi devra-t-on ménager et caresser de tels caractères et les rappeler aux affections gaies. Et comme il faut à la colère d’autres remèdes qu’à l’abattement, des remèdes non-seulement différents, mais contraires, on obviera d’abord au défaut le plus prononcé. Rien, je le répète, de plus utile que de jeter de bonne heure les bases d’une saine éducation. Difficile tâche que celle d’un gouverneur, qui doit prendre garde et d’entretenir la colère chez son élève et d’émousser sa vigueur

  1. Je lis, d’après Muret et deux manusc., quidam sicci. Lem. : Saucii.