Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/13

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des remèdes contraires. Je vais donc environner votre douleur présente du lugubre appareil de toutes vos afflictions : ce ne sera pas employer de calmant, mais le fer et le feu. Qu’y gagnerai-je ? le voici : Vous rougirez, après avoir triomphé de tant de maux, de ne pouvoir souffrir une seule plaie sur un corps tout couvert de cicatrices. Laissons donc les pleurs, laissons les éternels gémissements à ces âmes faibles et amollies par une longue prospérité ; la moindre secousse de l’infortune les renverse, mais que celles dont toutes les années n’ont été qu’un enchaînement de malheurs, supportent les plus grandes peines avec un courage ferme et inaltérable. La continuité de l’infortune procure au moins cet avantage, qu’à force de tourmenter, elle finit par endurcir. Le destin vous a frappée sans relâche des coups les plus accablants ; il n’a pas même excepté le moment de votre naissance : à peine venue au monde, ou plutôt en recevant le jour, vous perdîtes votre mère, et votre entrée dans la vie fut une sorte d’exposition. Élevée sous les yeux d’une marâtre, votre complaisance et votre tendresse vraiment filiales lui donnèrent, malgré elle, des entrailles maternelles ; il n’est cependant personne qui n’ait payé bien cher même une bonne marâtre. Un oncle, dont la tendresse et la bonté égalaient le courage, vous fut ravi au moment où vous attendiez son arrivée ; et, comme si elle eût craint de rendre ses coups moins sensibles en les séparant, la fortune vous priva, dans le même mois, d’un objet adoré, d’un époux qui vous avait rendue mère de trois enfants. Votre deuil fut ainsi traversé d’un autre deuil pendant l’absence de tous vos fils, comme si les malheurs s’étaient à dessein appesantis à la