Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/25

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exil affreux, quand on peut s’y rendre avec un tel cortège ?

Brutus, dans son traité de la Vertu, assure qu’il vit Marcellus, exilé à Mytilène, aussi heureux que le comporte la nature de l’homme, et plus passionné que jamais pour les beaux-arts. Aussi ajoute-t-il qu’en le quittant, il crut lui-même partir pour l’exil, et non y laisser ce grand homme. O Marcellus ! tu fus plus heureux de mériter, dans ton exil, les éloges de Brutus, que ceux de la république, dans ton consulat ! Quel illustre banni que celui dont on ne peut se séparer, sans se croire exilé soi-même, et qui inspire de l’admiration à un personnage admiré même de Caton, son beau-père ! Brutus assure encore que César ne voulut point s’arrêter à Mytilène, parce qu’il ne pouvait soutenir la vue d’un grand homme humilié par la fortune. Les sénateurs, par leurs prières unanimes, obtinrent son retour. À voir leur inquiétude et leur tristesse, on eût dit qu’ils avaient tous en ce jour les sentiments de Brutus, et qu’ils demandaient, non pour Marcellus, mais pour eux-mêmes, de n’être pas exilés en vivant loin de lui. Toutefois, le plus beau jour pour Marcellus fut celui où Brutus ne put le quitter, et où César n’osa le voir. Ces deux témoignages étaient également glorieux : Brutus s’affligea, César rougit de revenir sans Marcellus. Doutez-vous que ce grand homme ne se soit excité à la patience en se disant : « Etre éloigné de sa patrie n’est pas un malheur pour Marcellus. La philosophie, dont les principes vivent au fond de son âme, lui ont appris que tous les lieux de la terre sont la patrie du