Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/39

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ritait de mettre au monde l’orateur qui s’écria devant le peuple : « Quoi ! tu oses insulter celle qui m’a donné le jour ? » Le mot de la mère me parait beaucoup plus énergique. Le fils mettait un haut prix à la naissance des Gracques, et la mère, même à leur trépas. Rutilia suivit son fils Cotta en exil. Elle lui était si tendrement attachée, qu’elle aima mieux supporter l’exil que son absence, et ne revint dans sa patrie qu’avec son fils. Après son retour, jusqu’au sein de la prospérité et des honneurs, elle le perdit avec le même courage qu’elle l’avait suivi, et l’on ne vit plus couler ses larmes depuis les funérailles de son fils. Elle montra du courage dans son exil, et de la raison à sa mort. Rien n’avait arrêté les mouvements de sa tendresse, rien ne put la faire persister dans une affliction inutile et insensée. Voilà les femmes au rang desquelles je veux qu’on vous place, vous qui toujours avez imité leurs exemples ; comme elles, vous saurez modérer ou étouffer le chagrin. Je le sais, la chose ne dépend pas de nous ; nulle affection n’obéit à l’homme, et encore moins celle que produit la douleur ; elle est opiniâtre et résiste à tous les remèdes. On veut quelquefois la comprimer et dévorer ses soupirs ; on affecte un air serein, mais notre sourire est trahi par nos larmes. D’autres fois on essaie de se distraire par des jeux et des combats de gladiateurs ; mais, au milieu des spectacles mêmes, je ne sais quel souvenir de notre perte vient encore se glisser dans notre âme. Mieux vaut donc vaincre la douleur que la tromper ; l’illusion des plaisirs et la distraction des affaires ne l’empêchent pas de renaître ; au contraire, ces délais ne servent qu’à en augmenter la force et