Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/58

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rester secret ; le suffrage de l’univers vous a imposé une grande tâche : osez la remplir. Cet essaim de consolateurs qui vous assiège, épie l’intérieur de votre âme, et tâche de surprendre jusqu’où va sa force contre la douleur ; si vous n’êtes habile qu’à user de la bonne fortune ; si vous sauriez souffrir en homme l’adversité, il n’est point d’yeux qui n’observent les vôtres. Tout est permis à ceux dont les affections peuvent se cacher ; pour vous, le moindre mystère est impossible : la fortune vous expose au grand jour. Le monde entier saura de quel air vous avez reçu cette blessure ; si au premier choc vous avez baissé votre épée, ou si vous êtes demeuré ferme. L’amitié de César et votre gloire littéraire vous ont désormais placé trop haut ; tout acte vulgaire, toute faiblesse de cœur vous compromettrait. Or, quoi de plus faible et de plus efféminé que de se laisser miner par le chagrin ? Si votre deuil est le même que celui de vos frères, il est moins libre dans son expression. L’opinion qu’on a conçue de vos talents et de votre caractère vous interdit bien des choses : on exige de vous de grands sacrifices, on en attend de plus grands encore. Si vous eussiez fait vœu d’entière indépendance, vous n’auriez pas attiré sur vous les regards de tous. Il vous faut maintenant remplir les belles promesses que vous avez données aux admirateurs de votre génie, à ceux qui en publient les productions, à ceux enfin, qui, s’ils n’ont pas besoin de vos puissantes faveurs, réclament du moins les fruits de votre plume : ils en sont dépositaires. Vous ne pouvez plus rien faire d’indigne de vos lumières et de vos vertus, sans qu’une foule d’hommes se repentent de leur admiration pour vous. Vous n’avez pas le droit de vous affliger sans me-