Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/73

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la jeunesse comme lui. C’est dans les apprêts de la guerre des Parthes, où il allait être blessé, qu’il reçut cette plaie, mille fois plus profonde, et il endura l’une et l’autre avec le même héroïsme, avec la même résignation. Tibère, mon oncle, vit mourir dans ses bras, et couvert de ses baisers, mon père Drusus Germanicus, son frère puîné, qui nous avait ouvert le centre de la Germanie et soumis les races les plus indomptables. Que fit pourtant Tibère ? il mit un frein, non seulement à son désespoir, mais à celui des autres ; l’armée entière, accablée par la foudroyante nouvelle, réclamait les restes de son cher Drusus ; il la contint dans les bornes d’une affliction toute romaine ; il jugea que si la discipline militaire a ses règles, la douleur aussi a les siennes. S’il n’eût d’abord séché ses larmes, comment eût-il essuyé les nôtres ?

XXXV. « Marc-Antoine, mon aïeul, le premier des hommes après son vainqueur, reconstituait la république sous le pouvoir triumviral dont il était le chef ; il ne connaissait point de supérieur, et, sauf ses deux collègues, voyait tout au-dessous de lui, lorsqu’il apprit la fin tragique de son frère. O tyrannique fortune, quel jeu cruel tu te fais du malheur des humains ! Dans le même temps que Marc-Antoine siégeait arbitre du droit de vie et de mort sur ses concitoyens, le frère de ce Marc-Antoine était condamné, conduit au supplice. Le triumvir supporta cependant cette affreuse blessure avec autant de magnanimité que toutes les disgrâces précédentes : ses pleurs à lui, ce fut le sang de vingt légions immolées aux mânes fraternels. Mais, pour ne pas rappeler mille autres souvenirs, dont plu-