Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/89

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rares et si admirables à un âge et dans un rang comme le sien : patient dans les travaux, ennemi des voluptés, quelque tâche que lui imposât son oncle, de quelque projet qu’il fondât sur lui l’édifice, Marcellus eût pu y suffire. C’était un digne choix, une assez ferme base pour que rien ne pût l’affaisser. Tant que sa mère lui survécut, elle ne cessa de pleurer et de gémir ; elle ne souffrit aucune parole qui eût pour but de la soulager, ni rien qui pût seulement la distraire. Tout entière à son deuil, absorbée par cette unique pensée, elle fut tout le reste de sa vie ce qu’on l’avait vue au convoi de son fils ; non que le courage lui manquât pour sortir de son abattement, mais elle repoussait la main qui l’eût aidée : elle eût cru perdre une seconde fois son fils si elle eût renoncé à ses larmes. Elle ne voulut avoir aucun portrait de cet être tant chéri, ni qu’on parlât jamais de lui devant elle. Elle avait pris en aversion toutes les mères, et elle détestait surtout Livie dont le fils semblait avoir hérité du bonheur destiné au sien. Ne trouvant de charmes que dans les ténèbres et la solitude, dédaignant jusqu’à son frère, elle refusa les vers faits pour célébrer la mémoire de Marcellus, et tout ce que les beaux-arts lui prodiguaient d’hommages. Son oreille fut sourde à toute consolation : elle fuyait même les solennités de famille ; la haute fortune de son frère et les trop vifs rayons de sa splendeur la blessaient ; elle s’ensevelit enfin dans la retraite la plus profonde. Là, entourée de ses autres enfants et de ses petits-fils, elle ne déposa plus l’habit de deuil, à la grande mortification de tous les siens, puisque, de leur vivant, elle semblait croire avoir tout perdu.

III. Livie s’était vu ravir son fils Drusus : c’eût été un grand