Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/93

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tés et célébrés comme ils le méritent : en votre présence toutes les bouches sont muettes sur lui. Vous êtes donc privée de la plus vive satisfaction, celle d’assister à l’éloge d’un fils, pour la gloire duquel, j’en suis sûr, vous sacrifieriez vos jours, si, à ce prix, il était possible de la rendre éternelle. Souffrez donc, provoquez même des discours dont il soit l’objet ; prêtez avec intérêt l’oreille à tout ce qui rappelle son nom et sa mémoire ; n’y voyez pas un sujet de déplaisir, comme font tant d’autres qui prennent pour un surcroît de malheur de s’entendre consoler. Appuyée tout entière sur le point sensible de vos souffrances, et oubliant les douceurs qu’elles vous laissent, vous n’envisagez votre sort que par son côté le plus triste. Au lieu de vous retracer tout ce qu’était votre fils, la douceur de son commerce, le charme de sa présence, les délicieuses caresses de son enfance, l’éclat de ses premiers progrès, vous ne vous attachez qu’à la dernière scène de sa vie ; et, comme si en lui-même, le tableau n’était pas assez sombre, votre imagination s’épuise encore à le noircir.

« Fuyez, de grâce, l’ambition dépravée de paraître la plus malheureuse des femmes. Songez-y bien encore, la grandeur ne consiste pas à montrer du courage quand tout nous seconde, quand la vie marche d’un cours prospère ; et ce n’est point sur une mer paisible et par un vent propice que l’art du pilote se déploie : il faut les chocs subits de l’adversité pour prouver la mesure de notre âme. O Livie ! n’allez point fléchir : armez-vous au contraire d’une contenance forme : si pesants que soient les maux tombés sur vous, supportez-les, et que le premier bruit seul ait causé votre effroi. Rien ne dépite la fortune comme l’égalité d’âme. »