Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/12

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tice ne nous permet pas de donner à cette idée les développemens nécessaires, ni de l’exposer avec détail. Mais tout ce que nous pourrions dire ne serait que la justification de ce principe évident par lui-même, que chaque peuple, placé dans des conditions particulières de temps et de lieu, a une physionomie propre, une personnalité distincte, un caractère sien, qui se retrouvent nécessairement dans la part qu’il a prise à l’œuvre humaine.

Il semble jusqu’ici que, dans le jugement porté sur la littérature latine, on ait pris au pied de la lettre ce nom de Grecs donné aux Romains par Ennius, peu de temps après la seconde guerre punique. On a oublié que l’imitation des formes n’a rien de commun avec le fond des idées. En admettant que, dans les lettres et les arts, la Grèce ait découvert le beau, et nous ait transmis des modèles qui ne nous ont guère laissé que le mérite de les imiter, il faut toujours comprendre que le beau dans l’art n’est que la meilleure manière d’exprimer des idées quelconques, et que ces modèles ne se rapportent qu’à la forme et à la manifestation de ces idées. Que Rome ait tout pris à la Grèce, il faut en convenir ; mais s’ensuit-il qu’elle n’y ait pas ajouté ? qu’elle ne nous ait transmis exactement que ce qu’elle avait reçu ? il n’est pas permis de le croire. En principe, l’œuvre humaine ne demeure pas stationnaire d’un peuple à l’autre, d’un siècle à l’autre ; en fait, la comparaison des deux littératures marque la différence et le progrès. Dans Virgile, par exemple, le poète romain, nous trouvons trois poètes grecs résumés en un seul, Homère, Hésiode et Théocrite ; mais toutes les différences de temps et de lieu sont par-