Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/15

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nait sienne par l’emploi. Le monde oriental, à cette époque, était épuisé de sève et de vie ; la forme s’affaissait, n’étant plus soutenue par l’esprit ; l’art, après avoir tout dit, tout exprimé, ne savait plus où se prendre : il était temps que le monde occidental ou barbare vînt remplir le moule sans le briser. C’est ce que firent les Latins. Homère avait fermé les temps héroïques et ouvert l’âge de l’histoire : Virgile à son tour ferma le monde païen, et annonça les siècles nouveaux, comme Dante, après treize siècles de catholicisme, vint fermer le moyen âge, et marquer le point de départ de ce qu’on nomme les temps modernes. L’épopée d’Homère est grecque, celle de Virgile est romaine, celle du Dante est catholique : mais au fond ces trois poëmes n’en font qu’un. C’est la même épopée qui se déroule et se continue, comme l’œuvre humaine dont elle est l’expression croissante et progressive[1]. Les Grecs avaient localisé dans leur pays les faits obscurs des premiers âges, et donné la forme de leur génie à ce que l’Orient leur avait transmis des traditions primitives. La science et l’antiquité se résumaient en eux, quoique Bacon leur reproche d’avoir ignoré tout ensemble et l’antiquité de la science et la science de l’antiquité. Pour continuer l’œuvre humaine, il fallait, au temps d’Auguste, continuer l’œuvre des Grecs, de même qu’au quatorzième siècle il fallut continuer celle des Romains. Voilà comment Virgile fut le

  1. Voir ce point de vue trés-heurensement développé dans l’Étude sur Virgile, en tête du premier volume de la traduction de ce poète, par M. Charpentier, professeur de rhétorique au collège royal de Saint-Louis.