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Néron. C’est un sombre tableau dans lequel l’auteur semble avoir jeté précipitamment les débris du vieux monde qui s’éteignait sous ses yeux ; nuls principes arrêtés, beaucoup de regrets, et plus encore de doutes ; des lambeaux de morale et de poésie, disparates brillantes, jetées par intervalles pour l’effet[1]. On sent que l’auteur écrit comme il voit vivre, c’est-à-dire, au hasard, sans règle, sans mesure et sans conviction. La vertu, sous sa plume, perd toute réalité ; le crime acquiert des proportions monstrueuses ; il affirme et nie l’immortalité de l’âme, d’une page à l’autre ; parle des dieux pour dire qu’ils n’existent pas, de la vie humaine comme d’une chose à laquelle il ne trouve pas de sens ; mêle toutes les doctrines, toutes les opinions, comme un homme qui sait beaucoup et qui ne croit à rien.

La haine de la tyrannie, l’instabilité des grandeurs humaines, le regret de la vie primitive, et l’éloge de la médiocrité, reviennent souvent sous sa plume. Le premier de ces thèmes favoris est toujours, comme on le conçoit, le moins développé ; mais son expression, pour être plus brève, n’en devient que plus forte, comme si, plus que toute autre, elle était le cri du cœur, témoin ces vers fameux et souvent cités :

Potest, magisVictima haud ulla amplior
Potest, magisque opima mactari Jovi,
Quam rex iniquus.

(Hercul. fur., v. 923 et ss.)


Mais rien ne peint mieux l’état violent de la société ro-

  1. Purpureus late qui splendeat unus et alter
    Assuitur pannus.

    (Horat., de Arte poet., v. 115 et ss.)