Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/285

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Laïus paré de sa couronne sanglante que je lui ai ravie ; il est plein de fureur, ses doigts s’enfoncent dans les cavités vides de mes yeux éteints, et se plongent dans mes orbites. Le vois-tu, ma fille ? moi je le vois… — Hâte-toi de te délivrer de cette vie qui t’accable, homme sans courage et qui n’as de force que contre une partie de toi-même. Épargne-toi les lenteurs d’une mort prolongée, et meurs tout entier d’un seul coup. Pourquoi traîner plus long-temps cette existence que je me suis faite ? Je ne puis plus commettre de crime… Je le puis encore, misérable ! je t’en avertis, retire-toi, ma fille, retire-toi, vierge encore. Après ce que j’ai fait avec ta mère, crains tout de moi.

ANTIGONE.

Aucune puissance, ô mon père, ne détachera ma main de la vôtre, personne au monde ne m’empêchera d’accompagner vos pas. Que mes frères se disputent le fer en main le brillant palais de Labdacus et son puissant empire ; la part que j’ambitionne dans le royaume de mon père, c’est mon père : c’est un bien que ne m’enlèvera ni celui de mes frères qui tient Thèbes sous son sceptre usurpé, ni celui qui marche à la tête des bataillons d’Argos. Que Jupiter ébranle le monde au bruit de son tonnerre, et que sa foudre tombe sur ce nœud vivant qui nous unit, ma main ne laissera point aller la vôtre. Malgré votre défense et malgré vous, mon père, je vous servirai de guide et conduirai vos pas. Descendez-vous dans la plaine ? j’y vais ; voulez-vous gravir la montagne ? je ne vous en empêche pas, mais je marcherai devant vous. Allez où vous voudrez, je vous y conduirai ; quelque