Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/289

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— Laisse-moi venger mon père encore sans vengeance. Main trop faible, que tardes-tu à me punir ? Ce que tu as fait jusqu’ici n’a été que pour venger ta mère. Laisse aller ma main, vierge courageuse ; tu ne fais que prolonger ma mort, et condamner à de longues funérailles ton père encore vivant ; hâte-toi enfin de jeter la terre du tombeau sur ma dépouille maudite. Tes pieuses intentions t’égarent, quand tu mets ta tendresse filiale à traîner après toi ton père sans sépulture. Il n’y a pas plus de cruauté à faire mourir un homme, qu’à le forcer de vivre malgré lui ; car c’est le tuer que de lui refuser la mort qu’il demande : la cruauté même n’est pas égale, elle est plus grande d’un côté : j’aime mieux me voir imposer la mort, que de me la voir ravir. Renonce à ton dessein, ma fille ; j’ai droit de vie et de mort sur moi-même. Je ne suis plus maître de mon royaume que j’ai volontairement abandonné, mais je veux encore être maître de moi. Si tu es la fidèle compagne de mes pas, donne-moi une épée, mais celle qui a servi au meurtre de mon père. Me la donnes-tu ? mes fils l’ont-ils prise en même temps que ma couronne ? Partout où sera cette épée, elle produira des crimes. Qu’ils la gardent, je la leur donne ; qu’elle soit aux mains de mes fils, mais aux mains de tous les deux. Prépare-moi plutôt un vaste bûcher, allume-le, je me précipiterai au milieu des flammes. Je monterai sur cet autel funèbre que le feu doit consumer, pour briser enfin ce cœur si dur, et réduire en cendres tout ce qui vit encore en moi. Où est la mer orageuse ? Conduis-moi là où la montagne suspend au dessus d’un abîme ses roches escarpées ; là où l’Ismène roule comme