Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/293

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mes yeux n’est pas assez noire pour mon crime, c’est dans la nuit du Tartare que je veux me cacher, ou dans une autre plus profonde encore, s’il en est une. Mon désir enfin s’accorde avec mon devoir. On ne peut m’empêcher de mourir. Tu me refuseras une épée, tu fermeras devant moi tous les précipices, tu m’empêcheras de serrer autour de ma gorge un nœud fatal, tu m’ôteras les herbes qui donnent la mort ? Eh bien ! à quoi te serviront tous ces soins ? la mort est partout, grâce à la bonté des dieux. Ôter la vie à un homme, tout le monde le peut, mais lui ôter la mort, personne ; mille chemins ouverts y conduisent. Je ne demande plus d’armes contre moi-même, ma main seule n’a-t-elle pas suffi de tout temps à ma volonté ? Viens donc, ô mon bras, avec toute ta force, toute ta douleur, toute ta colère. Ce n’est pas un seul endroit que je veux frapper en moi : tout entier je suis coupable ; fais donc entrer la mort par où tu voudras ; brise mon corps, arrache mon cœur capable de contenir tant de crimes, déchire tous les tissus qui enveloppent mes entrailles. Que ma poitrine résonne et se brise sous tes coups multipliés, enfonce tes ongles dans mes veines, et fais couler mon sang : ou bien frappe un endroit déjà connu, rouvre les blessures cicatrisées de mes yeux et qu’un sang noir en ruisselle. C’est par là qu’il faut tirer de mon corps cette vie tenace que je n’en puis chasser. — Et toi, mon père, où que tu sois, préside à mon supplice, et règle mes tourmens ; je n’ai point cru expier d’un seul coup un aussi grand crime, cette mort partielle que je me suis infligée ne m’a point satisfait, et je n’ai point voulu me racheter à ce prix ; je voulais seulement