Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/295

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mourir en détail et pièce à pièce pour apaiser tes mânes. Reçois enfin ce qui t’est dû, c’est maintenant que je m’acquitte, c’est maintenant que je livre à ta cendre tout ce qu’elle a droit d’exiger. Viens, pousse contre moi-même cette main trop lente, enfonce-la profondément. La première fois elle n’a fait qu’effleurer ma tête, elle n’a fait aucun effort pour arracher mes yeux pressés de sortir eux-mêmes. Je sens encore, oui je sens en moi cette même fureur qui faisait que mes yeux accusaient la lenteur de mes mains. C’est la vérité, Œdipe : tes yeux se sont offerts plus résolument que ta main ne les a pris. Maintenant, il faut la plonger dans ta cervelle sanglante, afin d’achever ta mort par où tu l’as commencée.

ANTIGONE.

Ô mon noble père, écoutez, je vous prie, avec calme quelques paroles de votre malheureuse fille. Ce n’est point à la gloire de votre antique maison, ce n’est point aux pompes d’une cour florissante, ni à l’éclat du trône que je prétends vous rappeler ; je vous demande seulement de supporter avec courage une douleur dont le temps et les délais ont adouci l’amertume. Il ne convient pas à une âme forte comme la vôtre de plier sous le poids des maux, de se laisser abattre et vaincre à l’infortune. La vertu n’est pas de haïr la vie, comme vous le croyez, ô mon père, mais plutôt de se raidir contre les coups de la fortune, et de ne jamais céder à ses atteintes. Quand un homme a su mettre le destin sous ses pieds, rejeter les biens de la vie, et en détacher son cœur ; quand il a rendu lui-même le fardeau de ses douleurs plus pesant, et qu’il ne demande plus rien aux dieux, quelle raison