Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/30

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et sont remplacées par je ne sais quoi qui ne peut avoir de nom. Rien ne rappelle mieux les mœurs de ces femmes dont Sénèque le Philosophe a si bien parlé dans ses lettres, de ces matrones romaines qui en étaient venues à ne plus compter leurs années par les consuls, mais par le nombre de leurs maris ; qui avaient la goutte comme des hommes, chose étrange qui ne s’était jamais vue que dans ce siècle, dit le moraliste ; mais juste punition de leurs débordemens, puisqu’en prenant tous les vices de l’autre sexe elles avaient mérité d’en prendre aussi toutes les maladies. Dieu avait livré ce peuple à son sens dépravé[1].

Toutefois, il reste une vérité qu’il est impossible de méconnaître : c’est que ce théâtre, malheureux fruit d’une époque de décadence, a puissamment influé sur le nôtre. Il n’en est pas que nos meilleurs écrivains aient copié plus commodément et moins remercié. On dirait qu’ils ont choisi la tragédie grecque pour l’exalter sans en rien prendre, et la tragédie latine pour en dire le plus de mal possible, tout en l’imitant. Ils ont fait deux parts de Sénèque ; ils ont mis d’un côté les beautés pour se les approprier sans en rien dire, et de l’autre les défauts pour décrier, en les montrant, l’homme qu’ils avaient dépouillé. C’est ainsi que les bons esprits qui savent tirer parti de tout, dit La Harpe, ont profité du

  1. Nous ne faisons qu’indiquer ces considérations morales qui se peuvent tirer des tragédies de Senèque ; on en trouvera le développement dans l’excellent ouvrage intitulé : Études morales et littéraires sur les poètes latins de la décadence, par M. Nisard.