Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/327

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ni villes opulentes : la guerre, voilà ta dot. Tu es devenu le gendre de nos ennemis ; chassé de ta patrie, reçu dans une demeure étrangère, tu as perdu l’héritage de ta famille, en gagnant celui d’une autre ; tu as subi l’exil sans l’avoir mérité par aucun crime. Pour qu’il ne te manquât rien de la destinée de ton père, l’erreur aussi a présidé à ton hymen. Mon fils, rendu après une si longue absence, mon fils, la crainte et l’espoir de ta mère, toi dont j’ai toujours demandé la présence aux dieux, qui, sachant que ton retour ne m’ôterait pas moins de bonheur qu’il ne m’en donnerait, se sont joués de ma tendresse, et, comme je leur demandais quand je cesserais de craindre pour toi, m’ont dit : Tu le craindras lui-même. En effet, sans cette guerre, je ne t’aurais pas, et sans toi je ne verrais pas cette guerre. Ta présence est pour moi une faveur cruelle et bien chèrement achetée ; mais une mère ne peut s’en plaindre, même à ce prix. Seulement plus de combats, tandis que le dieu des batailles ne vous a poussés encore à aucun forfait. C’en est un assez grand déjà d’en être venus si près. Je tremble, je frissonne, en voyant deux frères en face l’un de l’autre, et à deux doigts du crime. À cette vue, je me sens défaillir. Malheureuse mère ! de combien peu j’ai manqué voir un forfait plus grand que celui qui fait que votre infortuné père ne pourrait plus voir le vôtre ! Quoique rassurée du côté de cet affreux malheur, quoique rien plus ne me l’annonce, la seule idée que j’aurais pu le voir me rend malheureuse. — Ô Polynice, par ces dix pénibles mois pendant lesquels je t’ai porté dans mon sein, par la vertueuse tendresse de tes sœurs, par la vengeance que ton