Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/333

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la peine de la perfidie d’un autre, et lui jouira tranquillement du fruit de ses crimes ? Vous me dites de m’éloigner, ma mère ; je suis prêt à vous obéir, mais donnez-moi un asile où me retirer. Je consens, pour laisser à mon orgueilleux frère le palais qui m’est dû, à n’habiter moi-même qu’une pauvre cabane ; mais encore faut-il me la donner, encore faut-il qu’en échange d’un empire je trouve ce modeste asile. Livré à mon épouse, j’aurai donc à subir les caprices d’une femme heureuse et puissante, à me traîner humblement, comme un esclave, à la suite de mon beau-père ? Tomber de la royauté dans la servitude, c’est une chute cruelle, ô ma mère !

JOCASTE.

Si tu veux absolument régner, si ta main ne peut se passer d’un sceptre violemment conquis, la terre est grande, et toute autre contrée peut t’offrir une conquête de ce genre : de ce côté s’élèvent les sommets du Tmolus chers au dieu du vin, riche pays, contrée vaste et fertile. Là s’étendent les fécondes plaines que le Pactole arrose de son or ; celles où le Méandre promène ses eaux vagabondes, celles que l’Hèbre sillonne de ses flots rapides, ne sont pas moins désirables pour leur fécondité. Ici, c’est le Gargare si cher à Cérès, et la riche contrée où le Xanthe roule ses flots grossis par les neiges de l’Ida. Tu peux encore choisir cette terre où la mer Ionienne perd son nom, étroitement resserrée par le détroit de Sestos et d’Abydos ; ou cette côte plus orientale qui offre aux navigateurs les ports tranquilles et sûrs de la Lycie. C’est là qu’il faut conquérir des royaumes à la pointe de l’épée ; c’est là qu’il faut entraîner les