Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/361

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peuples errans de la Scythie. Épurez votre cœur, et chassez-en le germe de ce crime horrible ; souvenez-vous de votre mère, craignez cet amour nouveau et monstrueux. Vous pensez à confondre la couche du père et celle du fils ! à mêler le sang de l’un et de l’autre dans vos flancs incestueux ! poursuivez donc, et troublez toute la nature par vos détestables amours. Pourquoi ne pas prendre plutôt un monstre pour amant ? pourquoi laisser vide le palais du Minotaure ? Il faut que le monde voie des monstres inconnus, il faut que les lois de la nature soient violées, à chaque nouvel amour d’une princesse de Crête.

PHÈDRE.

Je reconnais la vérité de ce que tu dis, chère nourrice ; mais la passion me pousse dans la voie du mal : mon esprit voit l’abîme ouvert, et s’y sent entraîné ; il y va, il y retourne, et forme en vain de sages résolutions. Ainsi, quand le nocher pousse en avant un vaisseau pesamment chargé, que repoussent les flots contraires, il s’épuise en vains efforts et le navire cède au courant qui l’entraîne. La raison dispute vainement une victoire acquise à la passion ; et l’Amour tout-puissant domine ma volonté. Cet enfant ailé règne en tyran sur toute la terre ; Jupiter même est brûlé de ses feux invincibles. Le dieu de la guerre a senti la force de son flambeau ; Vulcain, le forgeron de la foudre, l’a également sentie, et ce dieu, qui entretient les ardens fourneaux de l’Etna, se laisse embraser aux flammes légères de l’Amour. Apollon, même le maître de l’arc, succombe aux traits, plus inévitables que les siens, lancés par cet enfant qui,