Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/95

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Brise les lois du trépas ; fais descendre le jour dans le sombre abîme des enfers, et que ses portes infranchissables deviennent une voie facile pour remonter vers la terre des vivans. Orphée a bien su par ses chants et par ses prières attendrir les inflexibles souverains des Mânes, et les forcer à lui rendre son Eurydice. Cette lyre enchanteresse qui entraînait les oiseaux, les bois, les rochers, qui suspendait le cours des fleuves, qui forçait les bêtes farouches à s’arrêter pour l’entendre, charme les enfers par des sons inconnus, et résonne avec plus de puissance dans les sourdes cavités du Tartare. Les beautés de la Thrace pleurent Eurydice, les divinités insensibles de l’enfer la pleurent aussi ; les trois juges même, qui, d’un front si sévère, interrogent les coupables et recherchent les crimes, pleurent sur leurs sièges. Enfin le roi de la mort s’écrie : « Je cède ; remonte vers la vie, mais à une condition : tu marcheras derrière ton époux, et lui ne se retournera pas pour te regarder, avant d’être arrivé à la clarté des cieux et d’avoir touché la porte du Ténare, voisin de Lacédémone. » Hélas ! le véritable amour ne sait pas attendre ni souffrir aucun délai ; trop pressé de voir sa beauté rendue, Orphée la perd une seconde fois. Si la cour de Pluton a pu se laisser vaincre à la puissance de l’harmonie, elle doit céder à la force d’un héros.