Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/277

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colère sur ses traits ; il se prépare quelque chose de grand, d’affreux, de cruel, d’abominable, d’impie, car c’est la fureur que je vois en ce moment sur son visage. Puisse le ciel tromper mes pressentiments !

Médée

Si tu veux savoir, malheureuse, combien tu dois haïr, rappelle-toi combien tu as aimé. Je souffrirais ce royal hymen sans vengeance ? je perdrais sans profit ce jour si instamment demandé, si difficilement obtenu ? tant que la terre se balancera au milieu de l’air par son propre poids, tant que le cours des astres lumineux déploiera les saisons dans l’ordre accoutumé, tant qu’il sera impossible de compter les sables de la mer, tant que le jour suivra le soleil, et que la nuit ramènera les étoiles, tant que l’Ourse du pôle restera suspendue au dessus des flots, tant que les fleuves iront se jeter dans la mer, la soif de vengeance qui me dévore, loin de s’éteindre, ne fera que s’irriter davantage. Ni la rage des bêtes féroces, ni Scylla ni Charybde dont les gouffres engloutissent les mers d’Ausonie et de Sicile, ni l’Etna, qui de son poids écrase la poitrine d’Encelade, ne peuvent égaler la violence de ma fureur. Le fleuve le plus rapide, la mer la plus orageuse, l’Euxin soulevé par le souffle du Corus, la flamme excitée par le vent le plus fort, n’arrêteront point le cours impétueux de ma colère. Je renverserai tout, je briserai tout.

Jason dira-t-ii qu’il redoutait Créon, et les armes du roi de Thessalie ? mais le véritable amour ne peut rien craindre. En admettant même qu’il ait cédé à la force et obéi par faiblesse, il pouvait au moins venir trouver