Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/63

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des morts. Puis, il prononce à voix basse des paroles magiques , et, d’une voix plus terrible , récite les chants mystérieux qui servent à apaiser ou à évoquer les om- bres légères. Il arrose de sang les flammes sacrées , brûle des victimes entières, et remplit l’antre (le carnage. Il verse encore de blanches libations de lait , répand, de la main gauche , la liqueur de Bacchus, recommence ses chants funèbres, et, regardant fixément la terre, appelle les Mânes d’une voix plus forte et plus émue.

La meute infernale répond à cet appel ; le vallon re—— tentit trois fois ; le sol, ébranlé, tremble sous nos pas. a On m’a entendu, s’écrie le devin ; mes paroles ont produit leur effet ; les portes de l’obscur chaos sont for— cées, et le peuple des morts va monter sur la terre des vivans. n Le bois tout entier s’incline , et les rameaux des arbres se dressent ; les chênes se fendent ; la. forêt, comme saisie d’horreur, s’agite et frissonne. La terre se retire en arrière , et fait entendre un sourd gémissement, soit que l’Achéron s’indigne qu’on ose sonder l’abîme de sa nuit profonde, soit que le sein de la terre elle-même se brise avec fracas pour livrer passage aux morts , soit enfin que le Chien aux trois têtes secoue avec fureur ses chaînes retentissantes. Tout à coup la terre s’entr’ou- vre et nous présente une bouche immense. Moi-même alors j’ai vu les pâles Divinités au milieu des Ombres ; j’ai vu le Fleuve aux eaux dormantes. et la véritable Nuit. Mon sang se glace et se fige dans mes veines. Les cruelles Furies s’élancent, et tous ces frères belliqueux, nés des dents du serpent de Dircé, accourent en armes , ainsi que le monstre fatal qui consumait les enfans de Cladmus.