Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 3.pdf/191

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égale enfin celle d’Hercule. En ce moment une barque le ramène de la côte d’Eubée, et un léger vent du midi fait rouler sur les eaux ce corps gigantesque.

Déjanire

La vie se retire de mon corps, et la nuit couvre mes yeux. Pourquoi cet engourdissement, ô mon âme ? pourquoi cette stupeur à la vue de ton crime ? Jupiter me redemande son fils, Junon son rival, le monde son sauveur. Il faut m’acquitter autant que je le puis, et plonger une épée dans mon sein. Oui, voilà ce qui me reste à faire : ma faible main peut-elle suffire à une telle vengeance ? Père d’Alcide, frappe de ta foudre son épouse criminelle ! et ce n’est pas d’un trait vulgaire qu’il faut armer tes mains : fais tomber du ciel le tonnerre, qui, sans la naissance d’Hercule, t’eût servi à consumer l’hydre de Lerne. Tu vois en moi un monstre sauvage, inconnu, plus cruel qu’une marâtre en fureur. Lance la foudre qui frappa jadis Phaéton égaré dans le ciel. J’ai causé seule la mort d’Alcide et le malheur de tous les peuples. Mais pourquoi demander aux dieux le coup qui doit te punir ? épargne cette peine à ton beau-père. L’épouse d’Hercule doit avoir honte de demander le trépas, cette main doit remplir tes vœux ; c’est de toi-même que tu dois réclamer cette faveur : prends une épée.

Mais pourquoi une épée ? tout ce qui tue est une arme suffisante : je vais me précipiter d’une roche élevée. Je choisirai la cime de l’Œta qui voit les premiers feux du jour à son réveil : c’est de là que je veux tomber. Les roches aiguës déchireront mes membres, et chaque pierre