Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 3.pdf/225

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rongé la moelle de mes os, qui sont maintenant vides et creux. Que dis-je ? mes os même ne subsistent plus ; leurs jointures sont brisées, et je les sens qui se séparent et se fondent. Ce vaste corps tombe en lambeaux, et les membres d’Hercule ne suffisent pas à la voracité du poison. Oh ! quel doit être ce supplice, dont moi-même j’avoue la puissance ! O crime épouvantable ! Voyez, peuples, voyez ce qui reste encore du grand Hercule ! Me reconnais-tu, mon père ? est-ce dans ces bras que j’ai étouffé le lion de Némée ? est-ce avec ces mains que j’ai tendu mon arc pour atteindre au sein des nues les oiseaux, du Stymphale ? est-ce avec ces jambes que j’ai atteint en courant la biche rapide, à la tête brillante et parée de cornes d’or ? Sont-ce là les mains qui ont séparé Calpé d’Abyla ? qui ont mis à mort tant de monstres, tant de scélérats et de tyrans ? sont-ce là les épaules qui ont porté le monde ? Est-ce là mon corps ? est-ce là ma tête ? est-ce avec ces mains que j’ai arrêté la chute du ciel ? Quel autre bras désormais pourra traîner à la lumière du jour le gardien du Styx ? O mes forces perdues avant ma vie, et ensevelies dans mon propre corps ! pourquoi me dire encore le fils de Jupiter, et réclamer le ciel à ce titre ? le monde croira maintenant que j’étais le fils d’Amphitryon.

Ennemi cruel qui te caches dans mes entrailles, montre-toi donc : pourquoi me frapper ainsi de coups invisibles ? Est-ce la mer de Scythie qui t’a engendré parmi ses glaces, ou quelque autre mer croupissante, ou le détroit de Calpé qui touche au rivage du Maure ? O cruel poison ! es-tu le fiel de quelque serpent armé