Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 3.pdf/331

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Dans cet âge heureux, la vierge Astrée, déesse puissante descendue du ciel avec la sainte Fidélité, gouvernait doucement la terre : la guerre n’était point connue parmi les humains ; le son de la trompette et le bruit des armes ne s’étaient jamais fait entendre. Point de remparts autour des villes ; tous les chemins étaient ouverts, tous les biens étaient communs entre les hommes. La terre ouvrait d’elle-même son sein fécond, heureuse de nourrir et de protéger des enfants si doux et si vertueux. La génération suivante perdit de cette douceur. La troisième se signala par l’industrie et l’invention des arts ; elle resta pure néanmoins. Mais ensuite vint une race d’hommes violents, qui osèrent poursuivre à la course les animaux sauvages, tirer les poissons du sein des eaux avec leurs filets, frapper les oiseaux de leurs flèches rapides, mettre sous le joug les taureaux indomptés, déchirer avec le soc la terre demeurée jusqu’alors vierge d’un pareil outrage, et la forcer ainsi de renfermer plus profondément ses fruits dans ses entrailles. Mais cette race coupable osa même pénétrer dans le sein de sa mère, pour en tirer le fer et l’or. Bientôt elle se forgea des armes, partagea les terres, établit des royaumes et bâtit des villes. On vit les hommes louer leurs bras pour défendre les cités étrangères, ou s’armer pour en faire la conquête.

Indignée de leurs mœurs féroces, et de voir leurs mains souillées de sang, la vierge Astrée quitta la terre infidèle à ses lois, pour remonter au ciel dont elle fait le plus bel ornement. La fureur des combats et la soif de l’or s’accrurent : le luxe, fléau terrible, infecta le