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SÉNÈQUE.

Les dieux nous préservent d’un pareil crime !

NÉRON.

Moi, le maître de Rome, souffrirai-je plus long-temps qu’on attente à ma vie, qu’on me brave, et que l’on conspire ma ruine ? L’exil n’a point abattu l’audace de Plautus et de Sylla ; loin de Rome, ils nourrissent encore dans leur sein l’implacable fureur qui arme des assassins contre mes jours. Puisque l’absence même n’a point diminué le crédit sur lequel se fondent leurs coupables espérances, je dois me délivrer de la crainte qu’ils me donnent, et tuer mes ennemis. Que mon odieuse femme périsse également, et qu’elle aille rejoindre son frère tant aimé. Tout ce qui me porte ombrage doit tomber.

SÉNÈQUE.

Il est beau de se montrer supérieur aux plus grands hommes, de travailler au bonheur de son pays, d’épargner les malheureux, de s’abstenir du meurtre, de donner du temps à sa colère, le repos au monde, et la paix à son siècle. Voilà la vertu suprême, voilà le chemin qui mène au ciel ; c’est ainsi que le premier Auguste se montra le père de la patrie, mérita d’être mis dans le ciel au rang des dieux, et d’avoir des temples sur la terre, où il reçoit les hommages des mortels. Cependant il eut beaucoup à souffrir des coups de la fortune, dans les longues et terribles guerres qu’il soutint sur la terre et sur les eaux, pour arriver à punir les ennemis de son père. Mais vous, au contraire, vous n’avez reçu d’elle que des faveurs ; sans verser une seule goutte de sang,