Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 2.djvu/129

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tisme n’y seroit qu’un préjugé ; car si ce n’est pas le
prince qu’on y aime, ce qu’on y aime n’est qu’un vain
mot. Le vrai patriotisme est l’amour de soi, étendu à
tout ce qui complette l’existence. Il y a un simulacre de
patriotisme dans les grands états, c’est le goût du pays :
ce lien n’est qu’un amour-propre déguisé, qui unit l’honneur
du nom individuel à la célébrité du nom public.
La Loi est l’expression de la volonté de tous, dans le
mode social qui fait la cité. Où est la loi qui ait été faite
par dix millions d’hommes délibérant en commun ?
La Liberté ne peut être restreinte que dans les choses
que la pluralité trouve évidemment et essentiellement
nuisibles à la pluralité. Quel pays de dix millions d’hommes,
s’est-il trouvé sur la terre, où la liberté n’ait pas eu
d’autres limites ?
Il y a quelque chose de burlesque dans ce mensonge
politique qui promet l’Égalité devant la loi. Quel siècle a
jamais eu un historien qui ait osé dire : Dans mon pays,
un manœuvre et un millionnaire, un grand et un mendiant,

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sont traités | par la Justice avec une constante
égalité ? Et quel pays de dix millions d’hommes pourra-
t-on citer, qui n’ait pas eu des millionnaires et des
mendians  ?
Si le gouvernement établi sur un grand pays, veut
suivre les principes de la république, il sera aussitôt
sacrifié. Mais si ce gouvernement qu’on prétend républicain,
veut se soutenir, il emploiera les délateurs, pour
que les délateurs ne le calomnient pas, il emploiera les
intrigans, pour que les intrigans ne s’élèvent pas contre
lui ; il fera la guerre, soit pour occuper la populace, soit
pour distraire les génies inquiets ; et il s’occupera surtout
des chefs des armées, parce que ces hommes-là sont ceux
qui ont le plus de facilité pour troubler l’ordre civil. Dans