Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 2.djvu/112

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dividu doit effectivement nous paroître une imperfection
dans le tout ; mais il se peut que ce ne soit un mal qu’à
nos yeux, et que cette sorte d’imperfection soit nécessaire.
Apparemment le tout ne pouvoit subsister et ne
pouvoit être beau sans un très-grand mouvement : peut-
être la destruction violente étoit inévitable.

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L’intelligence a employé les choses, mais elle | n’a pu
les changer. L’intelligence connoît l’être : avant que l’être
soit connu, il faut qu’il existe. L’intelligence peut avoir
amélioré le résultat des choses, mais elle n’en a point fait
les premiers moyens : car l’intelligence agit sur l’intellectuel ;
or l’intellectuel résulte ou de l’être positif existant,
ou de l’être possible.
Si c’est de l’être existant, l’être, dans son essence, est
indépendant de l’intelligence.
Si c’est seulement de l’être possible, alors il n’y a point
d’êtres positifs, il n’y a point de matière.
Dans tous les cas l’intelligence n’est point cause, mais
seulement agent. Elle est cause des formes ou des résultats ;
mais elle n’est point cause des essences, et s’il existe
des essences, elle n’est point cause première. Or, comment
concevoir qu’il n’en existe pas ? L’intelligence alors
étant seule existante, seroit une ; car quelle force ou quels
moyens en maintiendroient la division. On peut donc
supposer Dieu existant sans les choses, mais non
l’homme. Si l’intelligence de l’homme existe, il faut aussi
que les corps aient une existence réelle.
Si donc l’intellectuel résulte de l’être positif, l’intelligence
ne peut en changer la nature, elle ne peut en
retrancher le mal : l’intelligence ne connoît même pas la
nature de l’être, elle n’en connoît que les propriétés relatives.
Et si même le monde matériel est imaginaire,
puisque notre pensée qui est une portion de l’intelligence