Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 2.djvu/128

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stérile. L’homme est ce qu’il doit être : la matière est
féconde ; mais c’est aux institutions à donner la forme.
Une seule chose est essentielle, c’est que de bonnes
institutions soient possibles.
Quand il y a mille hommes par lieue carrée, de bonnes
institutions deviennent la plus absurde des chimères. Si
donc, un européen parle de félicité publique, de mœurs
heureuses, d’équité, de liberté morale, si même il parle de
liberté politique, de lois sociales primitives, ce qu’il dit
ne peut être pris que comme une de ces suppositions, où
s’attachant moins au fait qu’à l’idéal, on cherche jusques
dans les invraisemblances, un modèle dont les images
effectives conserveront du moins quelque caractère. Les
têtes qui restent toujours jeunes, s’obstinent à vouloir
une ressemblance entière ; et pour ces fantômes, elles
troublent leur pays. Ceux qui veulent aussi le bien, mais
qui ne le veulent que lorsqu’il est possible, s’occupent
seulement d’en conserver la mémoire et d’en rectifier les
idées. Ils espèrent que tant que le vrai beau ne sera point
méconnu, le plus grossier des artistes n’osera donner des
traits tout-à-fait hideux, aux ébauches les plus
imparfaites.
C’est n’avoir aucune vraie notion des choses ou des
hommes, que de prétendre changer en une Cité, dix millions
de sujets.

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Une Cité est un corps, dont tous les membres | sont
rapprochés, et en quelque sorte connus les uns des autres,
par la conformité des volontés, des mœurs, des intérêts.
Un amas de provinces, unies seulement par la conquête
et par le temps, et où des montagnes nomades subissent
la même loi que les côtes marchandes et les plaines
industrieuses, une telle contrée donne aux peuples un pays,
et ne peut jamais leur promettre une patrie. Le patrio-