Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 2.djvu/131

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Luxe, fracas, brillantes apparences, c’est tout ce qu’on
peut obtenir, et même tout ce qu’on doit chercher dans
un grand pays. Paix, union, médiocrité contente, félicité
de tous, c’est ce qu’on n’y a jamais vu. Nos superbes
royaumes ressemblent beaucoup aux habitations dans nos
colonies : quelques maîtres s’y montrent soutenus par de |

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nombreux esclaves ; une profonde misère est cachée sous
la prospérité mercantile ; et cent existences d’hommes
sont sacrifiées à une spéculation d’industrie.
L’art conduit tout ; mais cet art n’a point le véritable
ordre pour objet. Les fléaux se succèdent impunément ;
ils font aussi partie de l’art. Pendant quelques siècles, c’est
la manie du sophisme. Durant quelques siècles ensuite,
c’est la rage de la force. La triste espèce humaine a tant
de moyens qu’elle n’a point de repos. Qu’importe ? Les
apparences sont trop bien arrangées pour n’être pas
toujours passables : et, quant au fond, nul n’est surchargé ;
chacun de nous ne porte qu’une seule vie de douleurs,
n’a-t-il pas des forces pour résister ? La nature nous a
donné la patience, parce qu’un sort funeste pouvoit être
celui de plusieurs. Ce sort est devenu celui de tous :
foible inconvénient ! chacun use de sa patience. Il en use
en silence, et sans voir que les autres lui sont semblables
en cela. Dans la jeunesse, on croit volontiers que les
misères sont pour soi seul ; quand on a vu la vie, l’on sait
enfin que le sort qu’on éprouve est à-peu-près universel ;
mais alors les volontés sont affoiblies, et bientôt on
meurt. Les mourans ne se révoltent pas contre les arts ;
les arts embelliront leurs funérailles.
Si dans une telle cité, un homme de génie survient,
que fera-t-il ? Il voudra s’élever ; car là où il n’y a point

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de grandeur dans la simplicité, il faut | bien la chercher
dans l’élévation, et là où il y a des rangs, il faut bien que