Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 2.djvu/133

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Gracques périrent, parce qu’ils s’opposoient au sénat.
Catilina périt, parce qu’il attaquoit le sénat. César fut
immolé pour avoir mécontenté le sénat. Sous Tibère encore,
l’on disoit la république romaine : sous Brutus, déjà il n’y
avoit point de république. Qu’importe le mot ? Venise,
où c’étoit un crime d’approuver le gouvernement, Venise
s’appeloit aussi une république. Si jamais la république
subsista dans de grands pays, ce fut par le fédéralisme,
c’est-à-dire qu’il n’y eut jamais que de petites républiques.
C’est donc une vérité déplorable, mais dont l’oubli
auroit des suites plus déplorables encore, que la population
démesurée du globe, excitant nécessairement une industrie
remuante, et perpétuant la division par grands états,
réduit à un vain bruit tous les systèmes de prospérité,
dénature l’ordre social, et rend impraticable l’établissement
de toute constitution libre et heureuse. Tenter le bien là

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où il est impossible de le réaliser, ce seroit une cala|mité
de plus : ce seroit détruire, et détruire en vain ces
dédommagemens dont il faut que l’on se contente ; ce seroit
ôter au spectre de la détresse sociale son masque de fleurs,
pour lui refaire bien vite un masque de sang.
Une chose vous reste, vous qui aimez le vrai, et vous
aussi qui voulez le dire aux nations ! Voyez et montrez
ce qui seroit bon non pas afin que l’on en hasarde
indiscrètement l’expérience sublime ou terrible ; mais
seulement afin que l’on ne fasse plus en aucun temps ce
qui est tout à fait mauvais. Assez de générations ont gémi
dans ces longues épreuves.