Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 2.djvu/139

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la terre, nul même n’a été connu sur toute la terre : de
ces pauvres hommes, il n’en est pas un dont les bras
hardis, ou la voix audacieuse ait seulement pu embrasser
cette étroite rondeur. L’infini qui leur est refusé
commence sur le sol qui les porte ; il les atteint chez eux-
mêmes ; et jusques dans les états du conquérant, plusieurs
ne savoient pas qu’il fût au monde un Gengis. C’est un
potentat, mais quelle puissance en lui ou dans ses peuples
lui auroit obtenu d’ajouter à ses jours fastueux, seulement
une année de la vie d’un porte-faix ? Voyez donc la
charpente du corps de l’homme, si bien dressée et si mal
affermie : l’ardeur de la vie la soutient, mais comme elle
est foible au milieu ! Il semble que là où sont les principaux
efforts, là soit aussi le principe de débilité : bientôt
elle plie, et tombe dans le sépulcre. Si nous voulons être
grands, sortons du moins de cette extrême folie de ne
pas apercevoir tant de misère. L’homme s’enveloppe d’une
pompeuse fumée ; la splendeur de ses fantaisies est une
base sur laquelle il croit élever ses jours : mais l’homme
vivant n’est qu’une image fardée qui pose sur le vide. |

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Et cette terre où la grandeur s’assied, ce globule jeté
dans l’espace ! Il s’y balance, et l’instant de sa chute n’est
que différé. Tout auprès est cette lune qu’un miroir nous
fait voir distinctement. Puissances de l’homme, donnez-
moi donc le moyen d’aller méditer, une heure, sur ce
monde qui est là. Que de secrets dans cette heure, et
combien elle seroit préférable à toute une vie d’études
ici, où l’on ne peut que chercher de foibles différences
entre des formes semblables ! Il me semble que j’y suis ;
et je n’y puis être ! Cette barrière a l’immobilité du vide :
c’est la nécessité, et son éternel refus.
J’entends derrière moi sur la terre : travail ! durée !
gloire ! génie ! Les enfans s’amusent avec peu de chose.