Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 2.djvu/162

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La pensée semble impérissable : c’est d’elle que
l’homme attend la durée de son être. En effet, il subsiste
encore quelque chose de notre pensée lorsque déjà nous
ne sommes plus : c’est une sorte d’écho multiple, on peut
croire que le son s’y prolongera long-temps. Ainsi le
chapitre immortel de l’histoire des peuples, c’est l’histoire de
leurs conceptions : cette célébrité est plus assurée que
celle des événemens même les plus mémorables. Les
grandes actions obtiennent des résultats éclatans et subits  ;
les grandes conceptions donnent des fruits plus lents,
mais la tige est fortement enracinée : c’est un autre ordre
de fécondité. Quand le temps commence à ruiner les
annales d’une foule de générations éteintes, la trace de
leurs idées ne s’efface pas encore : lors même qu’on ne
trouve plus ce qu’elles ont exécuté, on entrevoit encore
les traits du caractère que leur génie s’étoit fait.
Que de monumens dont les débris du moins et les
noms nous seroient connus, si les Indes et la Chaldée,
si les peuples antérieurs s’étoient occupés de nous
transmettre des esquisses de ces temps dont les travaux ont
péri défigurés ! Quel utile résumé des produits de
l’intelligence ! Nous saurions les variations du génie nous pourrions
suivre les pas de l’homme, la succession des idées,

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le dévelop|pement des moyens, le mouvement des
opinions.
L’Orient produisit ou rassembla des lumières dont la
masse étonne : il en subsiste des lueurs vénérables, mais
confuses ; et la science moderne ne parvient pas encore à
en déterminer le lieu.
Plus tard, l’Égypte eut de beaux siècles ; mais ils ne brillèrent
que d’une lumière transmise.
La Grèce sut s’approprier et agrandir ce qui lui fut
apporté. D’autres contrées purent, comme elle, atteindre