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PREMIÈRE RÊVERIE

L’heure si rapide où nous vivons est longue encore pour notre industrie impatiente ; il faut un effort qui en trompe l’inertie. Il faut aussi reculer le tombeau : il faut travailler à une œuvre plus durable que nous, et où notre existence paroisse se prolonger ; c’est un double besoin pour notre activité d’user à la hâte le temps que nous pouvons saisir, et de conquérir en quelque sorte celui qui nous sera refusé. Quand l’homme n’a rien fait pour éluder la mort, il périt amèrement : il se voit inutile à jamais, à jamais tombé, perdu pour les siècles qui surviennent, comme le grain de sable enseveli par la pelle de l’Égyptien sous le fondement d’une pyramide.

Le jour présent est le réel : mais savons-nous si le réel fut donné à l’homme ? Il sent son existence se dissiper sans cesse, et il n’a qu’un désir secret et continu, le désir de ce qui ne périroit point. Néanmoins sa vie est un mouvement fugitif : il ne fait que chercher et abandonner, oublier et commencer ; tout occupé d’aspirer l’avenir, il se délivre du passé. Il veut des choses qu’il ait choisies, mais il les veut encore inconnues quand elles arrivent, elles sont trop à découvert. Le présent montre tout à nu, sans couleurs, sans harmonie : cette vérité nous écrase. Le présent pour nous, c’est l’immensité sans voile : l’homme gémit sous ce géant des temps.) |

[3] Mais dans le chaos de la vie, convient-il à l’homme de choisir, de lutter, de croire se maintenir ; ou lui vaudroit-il mieux recevoir les choses, et se laisser aller insouciant et commodément distrait ?

Si l’un de ses premiers mouvemens est de se mettre à la recherche du vrai, faut-il l’exciter vers ce but difficile ? Dans quelles voies faut-il l’introduire ? quels probables seront bons à sa nature ?

Chaque parti admet de certaines vérités. Celles-là sont