Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 2.djvu/55

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L’homme simple… …de leurs destinées. (Ibid.,
298-310).
Mais dans la société, celui dont la raison ne maîtrise
point la sensibilité, réunit l’imprudence de conserver
des désirs, à la foiblesse de souffrir impatiemment le
néant des jouissances. Il s’attriste ou il s’irrite ; il devient
mélancolique ou atrabilaire selon que le tempéramment
et les circonstances le déterminent à se concentrer dans
le triste repos de la réflexion, ou dans l’égoïsme de
l’humeur et du dégoût.

[99]

Le mélancolique s’occupe d’objets ou sérieux, | ou
funestes ; il se plaît dans les pensées sombres, dans les
affections douloureuses, dans les passions profondes. Il
ne hait pas les plaisirs, mais il les néglige ; il les évite
par indifférence, par l’effet d’une satiété raisonnée et
anticipée, car ils sont étrangers à son ame, et la
douleur est devenue son état de repos. Le mélancolique a
le cœur fatigué, comprimé, ardent mais ralenti ; celui
de l’atrabilaire est endurci, exaspéré. Autant, ou plus
que tout autre, le mélancolique est susceptible d’affections
aimantes, pourvu qu’elles soient sérieuses ; il y
mêle je ne sais quoi de douloureux qui les rend plus
douces à son cœur, plus naturelles à son habitude.
L’atrabilaire ne connoît plus les affections douces ; son
humeur est difficile, ses mœurs sont dures, ses passions
haineuses ; ce n’est qu’amertumes, craintes, aversions. Le
mélancolique est détrompé ; l’atrabilaire l’est aussi,
mais c’est avec passion. Les solitaires, les hommes pensans
seront mélancoliques ; l’oppresseur deviendra facilement
atrabilaire. L’homme sensible sera mélancolique
dans l’habitude des ennuis et des douleurs : l’homme très-
sensible le sera même dans l’absence des maux positifs.
Le malheur rendra atrabilaires les hommes durs ou