Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 2.djvu/93

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qu’il fut, remplacé en quelque chose par Dieu tel qu’il
est.
Mais si le monde effectué par Dieu l’a toujours été, si
la cause étant éternelle, le produit l’est également ; si en
outre le monde est toujours semblable, malgré les
perpétuelles mutations des formes particulières, c’est-à-dire si
tout est compensé de telle manière que la même somme
des incidens divers existe dans tous les temps ; il me
semble qu’on peut commencer à concevoir la possibilité
de l’éternité et de l’immutabilité de Dieu.
Si l’on avance que la matière a commencé, c’est dire en
d’autres termes qu’elle n’a point d’existence réelle, et
qu’elle n’est point une substance. La vision des choses
peut n’être pas éternelle, cela se conçoit pour ainsi dire :
au contraire le passage du non être à l’être ne paroît
pas au-delà de la raison, mais plutôt contraire à la
raison.
Les formes se succèdent, mais l’indestructibilité n’est-
elle point la propriété des substances, et n’y a-t-il pas une

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immutabilité invincible dans la na|ture des abstraits ? Le
temps même est dans une véritable permanence. Pour
nous le présent n’existe point, car notre vie est toute
dans le passé ou dans l’avenir : mais si nous considérons
le temps en lui-même, alors ce n’est autre chose que le
présent, car ce n’est plus la durée du passage, mais le
passage même. Ce qui a été, ne passe plus ; ce qui sera
ne passe point encore. Le temps est donc indivisible et
perpétuel.
Le présent pour l’homme peut être considéré autrement.
Il se lie confusément au passé et à l’avenir ; en
sorte que cette ligne de séparation prend des dimensions
visibles, et a pour ainsi dire de l’épaisseur. Nos sensations
se modifient graduellement ; ainsi elles participent tou-