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la conversation guérit : on peut dire que pour l’aimer, il ne la faut voir qu’un moment ; car si on la voit davantage, on ne l’aime plus. Voilà où j’en suis :

Ainsi c’est vous aujourd’hui
Qui causez tout mon ennui.

Au reste, mes chers, je vous demande des nouvelles de la santé de notre oncle : je vous prie de l’entretenir toujours de propos joyeux ; faites-le rire à gorge déployée quand même il en devroit tousser un peu. Dites-lui de ma part qu’il se conserve plus qu’il ne fait, et que s’il ne se veut aimer pour lui, il s’aime pour moi, qui l’aime plus que moi-même. Je n’en dirai pas davantage : aussi bien suis-je persuadé que cela ne serviroit de rien, et que vous êtes des fripons qui vous donnerez bien de garde de faire valoir mon bon naturel. De l’humeur dont je vous connois, vous enrageriez qu’on m’aimât autant ou plus que vous.

Si vous ne revenez bientôt, je m’en irai vous retrouver : aussi bien mes affaires ne s’achèveront-elles qu’après les Rois ; mais ne pensez pas de revenir l’un sans l’autre, car autrement je ne serois pas homme à me payer de raison.

Depuis que je vous ai quittés, je ne mange presque plus. Vous qui présumez de votre mérite, vous ne manquerez pas de croire que le regret de votre absence me donne ce dégoût ; mais point du tout : ce sont les soupes de maître Crochet[1] qui me donnent du dégoût pour toutes les autres.


  1. Le cuisinier de l’évêque de Chalon.