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1695

1433. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À COULANGES.

À Grignan, le 15e octobre.

Je viens d’écrire à notre duc et à notre duchesse de Chaulnes, mais je vous dispense de lire mes lettres : elles ne valent rien du tout ; je défie tous vos bons tons, tous vos points et toutes vos virgules d’en pouvoir rien faire de bon ; alors laissez-les là ; aussi bien je parle à notre duchesse de certaines petites affaires peu divertissantes. Ce que vous pourriez faire de mieux pour moi, mon aimable cousin, ce seroit de nous envoyer, par quelque subtil enchantement, tout le sens, toute la force, toute la santé, toute la joie que vous avez de trop, pour en faire une transfusion dans la machine de ma fille. Il y a trois mois qu’elle est accablée d’une sorte de maladie qu’on dit qui n’est point dangereuse, et que je trouve la plus triste et la plus effrayante de toutes celles qu’on peut avoir. Je vous avoue, mon cher cousin, que je m’en meurs, et que je ne suis pas la maîtresse de soutenir toutes les mauvaises nuits qu`elle me fait passer ; enfin son dernier état a été si violent, qu’il en a fallu venir à une saignée du bras : étrange remède qui fait répandre du sang quand il n’y en a déjà que trop de répandu ! C’est brûler la bougie par les deux bouts. C’est ce qu’elle nous disoit ; car au milieu de son extrême foiblesse et de son changement, rien n’est égal à son courage et sa patience. Si nous pouvions reprendre des forces, nous prendrions bien vite le chemin de Paris : c’est ce que nous souhaitons et alors nous vous présenterions la marquise de Grignan, que vous deviez déjà commencer de connoître sur la parole de M. le duc de Chaulnes, qui a fort galamment forcé sa porte, et qui en a fait un fort joli portrait. Cependant, mon cher cousin, conservez-nous une sorte d’amitié, quelque indignes que nous