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souhaitons toujours quelque sorte de folie qui vous divertisse ; mais nous craignons bien que celle-là n’ait été meilleure pour nous que pour vous. Après tout, nous vous plaignons de n’entendre parler de Dieu que de cette sorte. Ah ! le Bourdaloue. Il fit, à ce qu’on m’a dit, une Passion plus parfaite que tout ce qu’on peut imaginer : c’étoit celle de l’année passée, qu’il avoit rajustée, selon ce que ses amis lui avoient conseillé, afin qu’elle fût inimitable. Comment peut-on aimer Dieu, quand on n’en entend jamais bien parler ? Il vous faut des grâces plus particulières qu’aux autres. Nous entendîmes l’autre jour l’abbé de Montmor[1] ; je n’ai jamais ouï un si beau jeune sermon ; je vous en souhaiterois autant à la place de votre minime. Il fit le signe de la croix, il dit son texte ; il ne nous gronda point, il ne nous dit point d’injures ; il nous pria de ne point craindre la mort, puisqu’elle étoit le seul passage que nous eussions pour ressusciter avec Jésus-Christ. Nous le lui accordâmes ; nous fûmes tous contents. Il n’a rien qui choque : il imite Monsieur d’Agen[2] sans le copier ; il est hardi, il est modeste, il est savant, il est dévot ; enfin j’en fus contente au dernier point.

Mme de Vauvineux vous rend mille grâces ; sa fille a été très-mal. Mme d’Arpajon vous embrasse mille fois,

  1. 14. Louis Habert de Montmor était le second fils de Henri-Louis Habert, seigneur de Montmor et maître des requêtes, qui fut l’ami de Gassendi, et entra à l’Académie française, un peu plus tard que ses deux cousins, Philippe Habert (l’auteur du Temple de la mort), et Germain Habert (abbé de Cérisy). — L’abbé de Montmor avait alors vingt-sept ans ; il fut nommé évêque de Perpignan en 1680. Il mourut à Montpellier, à l’âge de cinquante et un ans, le 23 janvier 1693. Mme de Sévigné était liée avec son père et avec sa mère, belle-sœur de Mme de Frontenac. Le frère aîné de l’évêque fut seigneur du Mesnil.
  2. 15. Claude Joly, à qui Mascaron succéda en 1679. Voyez la note 4 de la lettre 132.